Roland Castro

Regards inversés
lundi 3 mars 2025
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Galerie Churchill, du 10 mars au 27 avril 2025

Regard inversés

Regard inversés

C’est en tant qu’élève de Roland Castro et en collaboration
avec Marie son épouse que je voudrais évoquer ici le travail et la démarche de Roland dans le cadre de l’ex- position qui se tiendra à la galerie du cinéma Churchill. Cette présentation se fera en deux temps.

Roland Castro, Ruelle, 2005
Roland Castro, Ruelle, 2005

Tout d’abord, je parlerai des souvenirs du professeur et de son enseignement, de sa méthode pédagogique. En- suite j’aborderai son travail de photographe, de cher- cheur sur la pratique de l’image et des tirages ainsi que du provocateur d’accidents photographiques.
Il y avait d’abord l’homme et ensuite l’enseignant. Mes premiers souvenirs, le regard de Roland, sa voix, son calme… Roland a toujours voulu donner, partager, faire de ses étudiants des personnes se posant des questions sur l’art, la photographie, le sens à donner à un travail. L’enseignant poussait les étudiants à donner du caractère à l’image, à réfléchir sur comment l’imprimer et à quel format. Sans insister, mais en donnant et en posant les bonnes questions, Roland faisait et donnait confiance aux jeunes que nous étions. Il a toujours sou- tenu et défendu les travaux des élèves tant que ceux-ci savaient expliquer la démarche et pouvaient ainsi conti- nuer à évoluer dans l’univers des arts. Par des exemples donnés, des rencontres organisées, des échanges, il ouvrait toujours des pistes de réflexions pour permettre à chacun de poursuivre sa pratique artistique, sa dé- marche, son écriture, son regard.
Il n’est jamais facile de parler du travail d’un artiste. Dans cette deuxième partie, je vais vous le décrire comme lui le percevait et nous le transmettait.
Le travail de Roland Castro est multiple. Au début de ce que j’ai pu voir et découvrir, il voyageait pour trouver des pierres, des parties d’édifices, des tranches d’histoire ou des rencontres fortuites. Avant de déclencher son appareil, il mimait un cadrage avec ses mains afin de donner un point de vue sur ce que l’image révélera par la suite. La lumière, la forme, les ombres sont les trois aspects essentiels lors de la prise de vue. Au moment du tirage, la recherche d’un noir intense et profond sera primordiale de façon à donner un aspect velouté à ses images réalisées selon le procédé à la gomme bichromatée. Si par exemple, le motif de la pierre peut sembler froide, cassante, tranchante, l’interprétation au laboratoire des images nous donnera à regarder une autre pierre transformée, une pierre nouvelle.
Roland aimait aussi “provoquer” les émulsions photosensibles, le papier, les techniques anciennes. Il cherchait à comprendre, à reproduire des erreurs pour mieux avancer dans son écriture artistique personnelle. La pratique de la photographie ne s’arrêtait pas à la prise de vue et au tirage. Roland allait chercher ce que le papier pou- vait rendre en tant que matière et support. Il composait des images sur support 2D, mais s’amusait aussi à les exposer sous un nouvel aspect, la 3D. Lors d’une visite d’une exposition, j’ai ainsi pu voir des coussins-images, où il avait réussi à transformer l’image en volume. Quelle audace, mais surtout, quel résultat ! Roland Castro était habité par le besoin de transmettre des images, des sentiments, des instants captés dans le viseur de son appareil photographique. Il aimait surtout faire réfléchir le spectateur par sa démarche de déstruc- turer le procédé pour mieux le comprendre et ainsi rendre visible ce qui ne l’était peut-être pas au départ.

Roland Castro, Ruelle, 2005
Roland Castro, Ruelle, 2005

Un autre aspect de l’univers de Roland Castro est de conduire le spectateur dans les profondeurs de ce que la valeur du noir peut montrer. On peut y découvrir en fonction de la lumière des noirs chauds, des noirs froids. Il a aussi donné une vision moderne du portrait, ceux-ci ne sont visibles qu’après un temps d’arrêt. Roland ne met pas de limite à son écriture artistique, il ose le portrait à l’envers et presque sous le mode de la silhouette. On retrouve aussi cette manière de photographier, dans les compositions de façades de divers bâtiments, presque comme un contre-jour forcé. Les noirs, encore, sont bien présents et le cadre peut faire une rotation de 180° pour orienter le spectateur dans un nouvel univers. Celui-ci plonge alors le regard dans un cadre où la perspective peut désorienter le visiteur.
On trouvera une série de portraits en format panoramique vertical et la ville sous un angle personnel et abstrait. On n’identifiera pas toujours le sujet comme il apparait lors de nos rencontres visuelles, mais Roland cherchait avant tout à éveiller, réveiller le regard du spectateur, à faire en sorte que notre perception revienne à sa première fonction : lire sans code, sans préjugé, sans artifice. Les valeurs noires et blanches accentuent et dramatisent la profondeur des photographies, elles donnent à voir le sujet sans emballage, ni manipulation numérique.

Frédéric Materne

Le paradoxe de l’ombre

Roland Castro, Ombre, s.d.
Roland Castro, Ombre, s.d.

La lumière est un phénomène naturel ; l’ombre est l’absence de ce phénomène. La lumière est ce qui fait exister les choses, c’est la vie ; l’ombre, c’est le vide, le néant, la mort. En photographie, le rapport s’inverse. La lumière c’est le blanc de la page, le rien. Et l’ombre, le noir, assure corps et matérialité à l’image. La photographie fixe la trace matérielle de l’ombre, c’est d’elle que jaillit la forme. Ainsi saisie, l’ombre furtive devient substance solide. Roland Castro s’est joué de ce paradoxe dans la série des Ombres. Tout en marchant, l’objectif orienté vers ses pieds, il a photographié son ombre portée sur le sol. Le traitement de l’image fait apparaître le modèle et son ombre comme deux ombres inversées se ren- voyant l’une à l’autre. La pointe du pied qui se soulève, le talon qui se pose sur le sol ne tiennent qu’à un point mais sont indéfectiblement liés. L’ombre agace son modèle, marche à ses côtés, le poursuit ou le précède. Mais le modèle, lui-même trace fantomatique, et son reflet ont la même densité et semblent réversibles. Ici encore, comme dans beaucoup d’autres œuvres de l’artiste, les papiers et textures superposés, enche- vêtrés, les noirs veloutés ou goudronneux confèrent une plasticité à l’ombre qui se fait corps sur le sol pavé ruisselant de lumière. L’ombre alors se redresse dans l’espace, l’occupe et le traverse. Son « propriétaire » a cédé la place. Impalpable, mouvante, évanescente dans la réalité, l’ombre se fait ici vérité, tels les personnages de Platon du Mythe de la caverne. Ne voit-on donc ja- mais que l’ombre de la vérité ? Son simulacre ?

Anne Gersten

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