Ne m’oubliez pas
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Du 30 avril au 5 juin 2016
Vernissage le samedi 30 avril de 11 à 14 heures
Selon un conte alsacien moyenâgeux, un chevalier et sa dame se promènent le long d’une rivière. À la demande de sa fiancée, il se penche pour lui cueillir des myosotis, mais perd l’équilibre et tombe à l’eau. Alors qu’il se noie, il lance une fleur vers elle en criant : « Ne m’oubliez pas ! » Cette petite phrase pour désigner cette fleur vivace est d’ailleurs restée et elle est, depuis lors, devenue un symbole de souvenir éternel, de mémoire.
Cathy Alvarez et Alexia Creusen engagent régulièrement des projets en dialogue. Alcea Rosea, référence au nom latin de la rose trémière, est le nom de leur duo et traduit cette envie d’œuvrer en commun pour faire croître des projets foisonnants. Elles ont choisi de travailler ensemble, au beau milieu du printemps, sur une intervention dans la Galerie de Wégimont, qui résonne comme un léger mais bouleversant écho visuel. Attentives à l’histoire de la région, Cathy Alvarez et Alexia Creusen ont pris en compte l’espace qui leur était offert, sa ligne du temps, sa carte géographique : Wégimont, son château, ses arbres, ses jardins, son toboggan, son étang, sa piscine et ses anciens vestiaires, devenus aujourd’hui la Galerie.
Avec pudeur et bienveillance, les deux artistes se sont intéressées au site et à son histoire. Avant d’être un lieu de délassement pour petits (et grands), Wégimont a été, de 1942 à 1944, une « pouponnière »... une fabrique d’enfants aryens.
« Combien sont-ils ces visages d’enfance, penchés sur nous, silencieux ? Avoir le goût de l’enfance, c’est disposer de la faculté d’accueillir ce revenant, cet ‘enfantôme’... ».
Pierre Péju (Le Goût de l’enfance)
Ces enfants meurtris, secousses de nos racines, que sont-ils devenus ? Ces enfants muets, ces « infantes » en langue latine (ceux qui ne parlent pas), peuvent-ils aujourd’hui se raconter ? Comment ont-ils appris à résister, à donner du sens, à vivre ? Ont-ils tous pu métamorphoser leur traumatisme en défi ? La question de la blessure de l’autre côtoie ici celle de sa résilience. Et de la nôtre.
Couvrir, découvrir.
Garder, regarder.
Sauvegarder.
Accrocher le temps.
Entrevoir, concevoir.
Mettre au monde, s’ouvrir à lui.
Inviter l’enfance, c’est inviter la curiosité et la création, oser l’expérience, mais c’est aussi réveiller la douleur, faire face aux plis et aux replis, terrasser les vieilles et sombres terreurs qui nous concernent tous. Si possible en profondeur, en douceur, sans en faire un drame.
« Ce que nous avons senti, pensé, voulu depuis notre première enfance, est là, penché sur le présent qui va s’y joindre. »
Bergson (La Pensée et le Mouvant).
Inviter la mémoire, c’est inviter le cours de la vie, c’est accepter les secrets voilés et dévoilés, mais c’est aussi remonter le courant et remuer ses (tré)fonds. Si possible ardemment, avec beaucoup de délicatesse. Parce que, comme le dit Nietzsche (Ainsi parlait Zarathoustra), il faut peut-être « tendre la main au fantôme lorsqu’il veut nous effrayer... ».
Deux figures de la mythologie grecque planent sur l’exposition. Méduse, la seule Gorgone à être mortelle, dont la chevelure est entrelacée de serpents, a le pouvoir de pétrifier ceux qui osent la regarder. Finalement décapitée par Persée grâce au reflet de son bouclier, elle reste un modèle ambigu lié au pouvoir du regard et à une forme de monstruosité qui conjugue la bestialité et l’humanité, la laideur et la beauté, mais aussi la mort et la vie.
Mnémosyne, aimée de Zeus, dort avec lui pendant neuf nuits. Après un an, au sommet de l’Olympe, elle donne naissance à leurs neuf filles, les Muses. Déesse de la mémoire, elle invente le langage et donne un nom à chaque chose.
Mnémosyne est également le nom donné à l’Atlas de l’historien de l’art Aby Warburg (1866-1929), œuvre originale dont l’ambition est non seulement de poser les fondements d’une grammaire figurative, mais aussi de réaliser un vaste corpus d’images qu’il convient d’examiner sous l’angle des relations d’Aby Warburg avec sa propre bibliothèque (80 000 ouvrages) et le problème de transmission, si cher à Alexia Creusen et Cathy Alvarez.
L’intervention de Cathy Alvarez et Alexia Creusen à la Galerie de Wégimont transmet par la suggestion, le murmure ou la révélation : céramiques fissurées, visages aux yeux bandés, cheveux embaumés, corps pétrifiés, photographiés, effacés, vus de dos, images ovées et silhouettes, petits chaussons abandonnés...
Les différentes œuvres présentées, entre réemploi et nouveauté, entre art numérique et artisanat, font signe et sont mises en interrelation. C’est la magie du « et », de la multiplicité. L’accrochage, dialogue intime et aéré, agencement délicat, est ici un jeu de piste, une mise en rapport d’amnésies et de potentiels, d’héritages communs, de traces et de résonances. La couleur bleue relie discrètement : bleu de la vérité, bleu des yeux, bleu du ciel, des myosotis aussi – fragiles fleurs qui renaissent de leurs cendres –, bleu de l’eau pure, limpide, celle du renouveau, de la grossesse, du miracle, celle où l’on se mire et où l’on se meurt.
Pour alimenter leur travail, Alexia Creusen et Cathy Alvarez ont arpenté les lieux et entamé de nombreuses recherches. Le spectateur est invité, au fil serpentant de l’histoire et de la création, à envisager le travail des deux artistes comme une véritable anamnèse, un patient processus de quête, de lecture et d’expérimentation plastique, ouvert sur des dizaines de documents et d’images.
Les questions, les réflexions, les analyses, les émotions intimes ou dévoilées qui en découlent font partie du jeu et du « je » de chaque visiteur. Celui-ci chemine au gré de sa sensibilité, découvre comment une œuvre s’élabore et se met, elle aussi, en marche.
Le temps d’exploration, celui d’Alcea Rosea et du public, fait donc partie intégrante de l’exposition, qui se présente comme une véritable fabrication de mémoire, une traduction des strates du site, de son histoire et de l’accouchement de l’œuvre elle-même.
Le grand toboggan parmi les fleurs comme une genèse, comme un parcours de vie fluide et furtif. Vertiges et lâcher-prise des glissades et des glissements, des baignades.
Laisser décanter, chanter ou déchanter le temps et le lieu, les secrets et leurs reflets. Mémoire, territoires et instants fêlés ou raffolés : les images espèrent et chuchotent.
Se lancer dans l’étang ou la piscine, y plonger en eaux troubles, celles de la pêche miraculeuse et de l’enfermement, celles de la (re)naissance et de la noyade, du boire et du déboire.
Du vide au plein, de haut en bas, voguer et (di)vaguer, s’attacher aux formes et aux gestes, suivre leur danse, leur étirement, leur élasticité, leur chute ou leur élan. Se griser jusqu’à tomber.
D’une page à l’autre, en cours de route, entendre les joyeux cris d’enfants, leurs départs et leurs arrivées, mais aussi leur blanc silence, leur triste absence.
Sophie Horenbach
Les manifestations sont organisées par l’asbl Wégimont Culture,
avec le soutien du Service culture de la Province de Liège
et en collaboration avec la Fédération Wallonie-Bruxelles.
La Galerie de Wégimont est située sur le parking bas du Domaine provincial
Chaussée de Wégimont, 76 -4630 – Soumagne
Gsm : 0477 38 98 35
– e-mail : info@wegimontculture.be
Visites les samedis et dimanches de 14 à 18 heures et sur rendez-vous