Nom, trait, visage

Bénédicte Deramaux, Catherine Lambermont et Farida Seminerio-Okladnicoff
vendredi 27 novembre 2015
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Du 23 janvier au 28 février 2016 
Vernissage le vendredi 22 janvier 2016

« We do not grow absolutely, chronologically. We grow sometimes in one dimension, and not in another ; unevenly. We grow partially. We are relative. We are mature in one realm, childish in another. The past, present, and future mingle and pull us backward, forward, or fix us in the present. We are made up of layers, cells, constellations… » Anaïs Nin, The Diary of Anaïs Nin, Vol. IV, 1971.

Nom, trait, visage

Catherine Lambermont s’est toujours attachée, dans son travail, à questionner les notions de visibilité, d’apparition ou de disparition, de perception et d’interprétation de la part du spectateur. Elle aborde ainsi la nature même de l’image, la feuilletant dans ses multiples épaisseurs de forme et de sens, liée aux choses non représentées, à la force d’évocation ou de suggestion d’éléments simples, confrontés ou mélangés par l’expérience subjective, singulière que nous en avons.

Sans titre, 2012. Mixed media on paper. 15 x 21 cm. Catherine Lambermont

Utilisant la photo, la vidéo, le dessin, la peinture, l’installation sonore, elle dépeint ainsi des espaces domestiques ou des lieux communs (à la limite : des non-lieux), à la lisière de l’étrange et du familier, sur le fil ou à la frontière de temps, d’espaces ou de souvenirs non définis, non définitifs. La vie anonyme et silencieuse, des environnements banals, des objets anecdotiques se transforment alors en paysages mentaux, entre la réalité et fiction, lorgnant vers le vide ou le hors-champ comme le ferait un rêveur éveillé, funambule inquiet en fragile équilibre. On traverse la vie contenue dans ses images en ombre ténue, impalpable, ou à la manière d’un courant d’air traversé d’indéchiffrables évidences…

Benedicte Deramaux / Ephemeris / digigraphie / 55x83cm / 2013

L’univers de Bénédicte Deramaux (qui aime à citer en référence le fragment d’Anaïs Nin ci-dessus) nous parle lui aussi d’invisible, d’un illusoire mais incandescent noyau des choses, de sentiments, de possessions (ou de sentiments de possession) que la nuit chasse, que le temps éparpille, que l’obscurité fond et dissout au profit d’un rapport énigmatique et comme magique, vibrant, troublant. Du peu des choses (des arbres le plus souvent, des bêtes parfois, le ciel ou des formes humaines mal définies), elle tire une qualité de présence, une « poignance », une fulgurance qui erre entre la vie et la mort et se laisse mal traduire en mots. « (Le langage) ne vit que du silence, écrit Merleau-Ponty ; tout ce que nous jetons aux autres a germé dans ce grand pays muet qui ne nous quitte pas. » En pointant le philosophe et phénoménologue français, Bénédicte Deramaux nous invite sur ses pas, à bas bruit, dans un pays vaste et proche, glanant çà et là carbones et éphémérides, des « petites unités inhérentes au mouvement vital » qui aident aussi à la décalque ou à la datation, ou des fragments d’un journal qui tiendrait la chronique des événements du monde en fonction du temps qui passe ou du mouvement des astres. Aux côtés de « Carbones » et d’« Ephemeris », « Quarry », sa dernière série inédite, nous rappelle que l’étymologie est aussi, à sa manière et tout comme la photographie, une écriture de la lumière : il y est question du cœur des choses et des pierres, de ce rapport à la proie et à la prédation, de ces petites déchirures qui sans cesse heurtent et ravissent celle ou celui qui, tendre et cruel, a fait voeu de chasser par les yeux – à défaut de pouvoir consoler par les mains.

Farida Seminerio-Okladnicoff / Atelier / 2010

Le travail de la main est, à l’inverse, ce qui rend si touchants les petites images, les interventions minimalistes, les traits à peine effleurés de Farida Seminerio-Okladnicoff. Elle dessine comme on coud, elle coud comme on peint, elle photographie sans avoir l’air d’y toucher. « La couleur des fibres sauvées d’un sèchelinge, un vieux mur dont les écailles seront recousues telle une robe précieuse, un fil de couturière qui s’échappe, non sans friponnerie, de sa sévère bobine : tout ou presque devient possible », comme le souligne André Delalleau. Un « possible » de l’inframince et du plus lent que lent ; une poésie qui s’effleure avec des grâces de dentellière ; du moins que rien qui n’apparaît que dans l’éphémère accident de l’instant. Patience et minutie, touches discrètes et échos, temps rapiécé aux matières égratignées, poussiéreuses, colorées… il y a du soin dans l’approche de Farida Seminerio-Okladnicoff, au double sens du terme : le soin que l’on met dans le travail et celui qui guérit les blessures. N’est-ce d’ailleurs pas le même ?

Trois artistes féminines – sans être trop sûr de ce qu’on a dit, une fois utilisé ce commun et indéchiffrable adjectif. Ces trois-là se tendent et se touchent. Elles sont autre chose, probablement, que des artistes sensibles : des artistes du sensible. Car quelques traits suffisent à tracer un nom ; derrière un nom se cache un visage (au moins) ; seuls les traits du visage ont besoin, pour être vus, d’autre chose que leur nom.

Emmanuel d’Autreppe


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