Jean Janssis

À corps perdus
dimanche 3 novembre 2024
popularité : 27%

À la galerie de Wégimont
Du 9 novembre au 15 décembre 2024
Vernissage le vendredi 8 novembre à 18h30
L’artiste sera présent les 8 et 24 novembre, et le 15 décembre

Jean Janssis se raconte

Jean Janssis se raconte

À 16 ans je voulais être écrivain. De 1968 à 1971, j’ai noirci les centaines de pages de mon cher journal. En 1975, après mes études de Lettres, me voici professeur de français et de sémiologie dans une école d’art, à Liège. J’étais loin d’imaginer que la photographie allait devenir une passion dévorante. J’achète un Nikkormat, puis un agrandisseur, un Durst M800, j’équipe un laboratoire dans la cave. Je parcours la Belgique, la France. Toute l’Italie me fascine. J’ai arpenté l’Etna, j’ai marché sur les pavés de Pompéi. Taormine, la gare, le restaurant d’en face, de train en train. C’était hier.
J’achète un moyen format, un Bronica 6X6, j’installe un studio dans le grenier. Mes amis se prêtent au jeu. C’est du théâtre, du cinéma, rien n’est vrai mais tout est sincère. J’ai le sentiment de créer, de construire, d’échafauder.
Leur ventre, leur sexe, leurs jambes, leur visage sont mon matériau. En dessin, en photo, les bras sont toujours encombrants. La Vénus de Milo n’a pas de bras.
Ne plus être maniéré, éviter les postures, les accoutre- ments. Il me faudra du temps. Moi, l’enfant sage, le bon élève, me voici insolent, subversif.
Il y a eu Mapplethorpe et Witkin, aujourd’hui McGinley et Ren Hang.
Jusqu’au début des années 2000, je pouvais déshabiller mes modèles en studio et sur la plage, aujourd’hui les choses ont changé ! Ces photos-là sont le reflet de mes jeunes années. Elles sont européennes et je m’acharne avec obsession à les refaire encore et encore pour retenir tout ce qui s’effiloche, disparaît. Je ne suis pas dans le rôle du spectateur, du témoin, mais dans celui de l’acteur, de l’amant.
L’inspiration ne tombe pas du ciel, elle est sous mes yeux, en chair et en os. Ils ou elles l’appellent Yves, Jean-Luc, Luc, Dany, France, Sylvie, Manu, Marco, Alex… J’en ai fait des géants, des héros, des saints, des martyrs. Mes photos sont nées dans l’étroitesse d’un grenier propice au rapprochement, à la proximité, au gros plan. D’autres sont nées de la montagne, de la neige et de la mer qui lave tout.
Mes photos prennent corps dans mon laboratoire, la forge.
Elles sont façonnées d’argile ; mes pigments sont des terres, des ocres. Elles sont exposées à la lumière ultra- violette ; longuement baignées dans l’eau pour appa- raître ; et enfin séchées à l’air libre.

À corps perdus

Jean Janssis
À corps perdus

Une photographie de Jean Janssis est un drame, une révélation, un mystère. Une mise en scène aussi, dans laquelle il nous donne à voir l’homme, « objet » de sa convoitise, de son admiration et de son amour, dans toute sa triviale splendeur, son insolente jeunesse et sa fascinante beauté.
À l’ère du numérique, de la profusion d’images colorées et du papier glacé, du pris sur le vif, de l’instantané et du mou- vement, les photographies de Jean Janssis semblent appartenir à une autre époque. Pas de couleur, des to- nalités noirâtres et sépia qui rappellent les vieux clichés d’antan, du papier crème duveteux aux bords effilochés, habituellement réservé au dessin ou à l’estampe. Surprenant encore, le format, celui d’une affiche publicitaire ou celui d’un tableau, plutôt…
Et pourtant, rien de tout cela !
Jean Janssis utilise une technique très ancienne, la gomme bichromatée qui remonte aux origines de la photographie et du mouvement pictorialiste, abandonnée tout aussitôt. À force de recherches, d’essais et d’erreurs, il en a redécouvert tous les secrets qui allaient donner à ses images la matérialité qu’il recherchait.
Sur l’épreuve subsiste en léger relief, comme un voile de sable ou de poussière, les traces de pigments charbonneux qui accrochent ou absorbent la lumière. C’est tout l’art du clair-obscur, du jeu pictural, sculptural ou matié- riste de l’ombre et de la lumière, qui n’est pas loin d’un tableau du Caravage, d’une sculpture de Michel-Ange ou d’une eau-forte de Rembrandt.
L’homme est au cœur de l’œuvre de Jean Janssis, l’homme universel magnifié dans l’éclatante beauté de son corps mais aussi montré, étiré, recroquevillé, écartelé, tron- qué, dans une mise en scène à la fois sophistiquée et dépouillée, d’une grande pureté.
Violemment baignés de lumière un corps nu, entier, ou quelques fragments de corps, un torse, une épaule, un bras, une main, un pied, un sexe jaillissent d’un abys- se insondable avant d’être à nouveau absorbés par les ténèbres. Les ombres qui rôdent autour de ces corps sublimes érodent leur contour, s’engouffrent dans les creux, noyant irrémédiablement quelques parties de corps, inaccessibles, objets peut-être, d’un irrésistible désir. Un trouble, une « inquiétante étrangeté » s’installent lorsqu’on tente de cheminer dans ce noir dévorant qui envahit l’espace, qui empêche de voir, dissimule et en même temps révèle les zones d’ombre de l’être, du corps et de l’âme. N’est-ce pas une frontière qui s’érige, indécise, imprécise, entre le noir et le blanc le chaos et la lumière, le bien et le mal, la vie et la mort ?
Voluptueuse, désirable, irrésistible beauté.
Peut-on te toucher, te mettre à l’épreuve, te blesser Peut-on, pour mieux en jouir, te priver de liberté Peut-on t’enfermer de peur que tu ne t’échappes ?
C’est à ce jeu, à ce risque, que se livre Jean Janssis …
à corps perdus !

Anne Gersten

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