Thierry Grootaers
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Du 21 septembre au 27 octobre 2024
Vernissage le vendredi 20 septembre à 18h30
L’artiste sera présent les 28 septembre et 27 octobre 2024
Conversation avec Thierry Grootaers
À quelques kilomètres de Visé, sur la rive droite de la Meuse, majestueuse à cet endroit, se cache un petit village qui, c’est certain, ne figurera jamais dans un guide touris- tique. Un seul coup d’œil, depuis ma voiture, suffit d’ailleurs pour m’en convaincre.
Témoignant tous du même vide architectural, je découvre, sur le chemin qui me mène chez Thierry Grootaers, des dizaines de petits pavillons aux couleurs fanées et une série de bungalows « clé sur porte » bordés par les inévitables haies de thuyas laissant entrevoir, çà et là, quelques géraniums achetés avec leurs jardinières vertes au BRICO du coin.
Le décor est planté et, comme le chantait Charles Aznavour, « il est triste à pleurer ».
Et pourtant, c’est dans ce « no man’s land », ni urbain ni rural, que l’artiste a délibérément choisi de vivre, d’aménager son atelier et son grand jardin.
Mon GPS m’indique que je suis arrivée, Thierry m’accueille sur le pas de sa porte et, dès le hall d’entrée, je change complètement d’univers. Les lieux reflètent souvent la personnalité de ceux qui les occupent. Sa maison, très différente de ses voisins, est vaste, ancienne et construite en briques rouges. En montant les escaliers pour le suivre, je m’arrête et prends le temps de regarder ce qui est en soi une exposition. Sur les murs, l’artiste a accroché sa collection de vieilles cartes postales, des tableaux d’amis artistes, des affiches publicitaires des années soixante, des souvenirs de famille, des ex-voto à foison, d’anciens jouets chinés en brocante. L’ensemble dégage le charme de certains musées ethnographiques « style capharnaüm » qu’on peut encore trouver, en cherchant bien, dans le fin fond de nos provinces.
Au second étage, quand il m’ouvre la porte de son atelier,
dans cette vaste pièce mansardée blanche et lumineuse, la magie opère …
Rapidement, je capte au hasard quelques œuvres :
– Une maison blanche devenue nichoir décorée d’un grand sablier bleu vif se dégage sur le fond d’un paysage de bouleaux morts nimbés de couleur feu.
– À gauche, une autre toile avec d’autres maisons, celles-ci sont peintes en rose, en turquoise et en jaune et leurs panneaux photovoltaïques ressemblent à s’y méprendre aux boîtes de crayons Caran d’Ache qui ont enchanté des générations d’enfants.
– Et puis là, cette suite de palissades ponctuées de couleurs vives où deux arbres, rapidement tracés, enca- drent une sculpture. Est-ce un totem, un épouvantail ?
Je pose la question à l’artiste. « Les deux, me dit-il, mais c’est aussi une référence, un clin d’œil à une œuvre qui m’a beaucoup marqué : L’Homme-oiseau de Thierry de Cordier que j’avais découverte au SMAK de Gand, il est présent dans plusieurs de mes tableaux, je le modifie, cependant c’est toujours lui qu’on peut deviner dessiné en filigrane. En tout cas, il sera présent à la Galerie de Wégimont, certains le débusqueront peut-être. »
« Cette exposition, continue-t-il, sera centrée sur ce que son titre indique déjà, Pas de porte, cet interstice ambigu qui fixe la limite entre moi et les autres, ma maison et les paysages environnants, mon journal intime et le monde extérieur. »
« Je marche beaucoup, je me promène, je regarde, je prends des photos et je parle aux gens. Tout m’intéresse, le logo jaune du BRICO au-dessus des toits gris, les rideaux en plastique de couleur, les potales garnies de fleurs artificielles, mes copains qui coupent un arbre, ma femme avec son gsm dans le jardin ou pourquoi pas, des casiers de bière rouges vifs rangés à côté des barbecues. Je ne fais aucun tri, je n’établis aucune hiérarchie, je travaille sur le motif comme le faisaient les anciens, Van Gogh et son chevalet figurent d’ailleurs dans mes tableaux. »
« Lorsque j’ai fini mes provisions, je ramène tout à l’atelier et là, ça vient comme ça vient. Je peins vite, je mets des couches de fond grises puis, je balance ce que j’ai récolté. La peinture m’aspire, je pose d’abord des plaques de couleur puis je superpose, j’efface, je raconte une histoire. Quant aux couleurs, je me donne le choix. S’il y a trop de vert dans ce paysage, je reviens avec du rouge sur les pelouses, puis, j’attends et souvent, je réajuste. Derrière mes travaux, j’archive toujours les dates de mes interventions, à la manière de Jean-Pierre Ransonnet qui fut mon professeur à l’Académie royale des Beaux- Arts de Liège et à qui je dois ce rapport au temps et cet amour de faire. Parallèlement à mon travail de peintre, chaque jour, je pose un geste artistique, c’est une sorte de gymnastique qui m’entretient. Je le fais sur une collection de vieux papiers récupérés chez les bouqui- nistes, je les exposerai peut-être un jour. »
« Tout cela, pour moi, ce n’est pas du travail, je ne l’associe jamais à l’angoisse ou à la souffrance de la création, je suis plutôt un artiste heureux et comme le disait Bram van Velde, seule la peinture pouvait prendre en charge mon aventure’ ».
Puisque Thierry me parle de lui-même, je lui propose, sous la forme d’un jeu, de répondre à un extrait du question- naire de Bernard Pivot, largement republié depuis son récent décès.
Quel serait votre plus grand malheur ?
— Être aveugle.
Ce que vous voudriez être ?
— Ce que je suis.
Votre couleur préférée ?
— Le rouge.
Votre peintre préféré ?
— James Ensor mais aussi mon arrière-grand-père, artiste au- todidacte qui peignait des copies de tableaux signés par des artistes de renom pour les offrir à ses amis.
Quelle est la phrase qui vous définit ?
— J’aime bien partir mais j’aime bien revenir.
Une question que vous vous posez ?
— Que voit-on depuis mon seuil ?
Une obsession peut-être ?
— Sortir les « non-sujets » de leurs anonymats.
Après s’être prêté à cet exercice, Thierry me propose un café dans sa cuisine qu’il a aménagée à son image, comme l’atelier ou le jardin, tout ce qu’il touche porte sa marque et son empreinte.
En prenant congé de lui, je parcours une seconde fois le chemin qui traverse les paysages, les maisons, les gens qu’il peint et qu’il dessine et je les vois autrement.
Désormais pour moi, ils sont indissociables de la signature de Thierry Grootaers.