Descendons ensemble au jardin

Jean-Paul Laixhay
mercredi 29 août 2018
popularité : 33%

du 22 septembre au 21 octobre 2018
à la galerie de Wégimont Culture

Invitation cordiale au finissage festif
de l’exposition de Jean-Paul LAIXHAY
le dimanche 21 octobre 2018 de 16 h à 18 h

Descendons ensemble au jardin (1)

Emboitant le pas à Georges Brassens, en dépit de Saturne, « ce dieu fort inquiétant (1) » qui « tue le temps comme il peut (1) » et « joue à bousculer les roses1 », Jean-Paul Laixhay propose à sa « belle (1) » et à nous, visiteurs : « descendons ensemble au jardin (1) ». Jardin d’Éden, jardin de rêve, jardin sacré, jardin secret… Chaque toile de l’artiste est un morceau de nature qui exulte, un coin de jardin luxuriant où s’entremêlent arbustes opulents, buissons touffus et myriades de fleurs aux couleurs somptueuses. Le Jardin de Chantal, ou le Jardin de Michèle (tous deux peints à plusieurs reprises) regorgent de fleurs pétulantes, de feuillages généreux et charnus où filtrent ça et là des éclats de lumière. Dans un autre coin, un autre tableau, écartant la constellation de corolles et pétales frais et délicats, peut surgir d’épaisses ramures, ombres inquiétantes, ténébreuses d’un noir profond. À bien y regarder, ce noir ombrageux, alchimie de tonalités subtiles allant discrètement du vert de gris au vert foncé, du bleu outremer au bleu violacé jusqu’au noir intense, laisse pénétrer la lumière en touches claires et buissonnantes des touffes fleuries.
Ici donc, l’ombre et la lumière, le clair et l’obscur, ne se livrent pas un combat. Sans pourtant renoncer aux contrastes qui donnent toute sa force à ce spectacle pictural, les tonalités opaques et transparentes, les touches grasses et fluides, les couleurs chaudes et froides, s’emboitent, s’étreignent, se marient. Entre le clair et l’obscur – l’ange et le diable – l’union est scellée.

Soleil ou tache jaune (2) ?

Dans le Jardin de Christian, il y a, je crois, de grands arbres, ils sont bleus ou verts assombris d’un peu de noir, il y a aussi peut-être de l’eau, un étang ? nappe blanche, bleutée, verdâtre ou légèrement rosée, et il y a surtout plein de jaune, terre d’ocre ? graminées en fleurs ? reflets du soleil ? Ce que nous voyons, ou croyons voir, de l’herbe, une fleur, un arbre, le soleil… ne sont pas objectivement représentés. Ce sont des taches de couleur, rien d’autre, de la matière colorée sortie en pâte épaisse du tube, écrasée au couteau ou à la brosse pour la faire adhérer et lui donner une forme, une direction, une dimension, une épaisseur.
Plusieurs couches de couleur superposées et les traces de la facture forment des striures, des croûtes, des boursouflures, ou laissent entrevoir, éparses, quelques flaques et dégoulinures, en lavis, des couches inférieures. Le tableau est une sorte de maçonnerie, une construction faite d’éléments formels (un élément linéaire renvoie à un tronc d’arbre) et informels (une tache peut devenir une fleur, un soleil). La couleur fait le reste : en gros, des masses de couleurs froides (les verts, les bleus, les violets) et de couleurs chaudes (les rouges, les jaunes, les roses/orangés) opposées et complémentaires. Tout en contrastes, ces amas colorés, organisés en multiples facettes (la « maçonnerie ») structurent solidement l’espace et créent des effets de profondeur, sans le secours de la perspective géométrique. En cela, Jean-Paul Laixhay a retenu la leçon de Cézanne, mais l’artiste nous emmène bien au-delà de la rigueur constructive et d’un certain esprit méthodique du maître de la Montagne Sainte-Victoire. Jean-Paul Laixhay, architecte (sa formation) avant d’être peintre, lui aussi construit mentalement son tableau mais en même temps, il se laisse submerger par l’émotion et, sans attendre, il met la main à la pâte, la triture, la pétrit, l’écrase avec force et fermeté, comme une nécessité. Il s’y livre tout entier. On le sent faire corps avec elle. La matière picturale se fait chair, vivante, voluptueuse, et devient le lieu d’exorcisme des pulsions de vie, de plaisir, de désir et de jouissance.

Un « hymne à la joie »

Un tableau de Jean-Paul est une symphonie colorée, un « hymne à la joie » où la gamme complète des couleurs, luxuriantes, éblouissantes ou denses, sombres et profondes, entrent en résonance. Du rose, rouge et jaune au bleu, vert et violet, pures ou en infinies nuances, ponctuées par les éclats du blanc ou les abîmes du noir, les couleurs explosent dans l’espace de la toile, irradiant bien au-delà. La richesse, la gourmandise de ces couleurs ardentes et fécondes, s’allient obligatoirement à l’opulence et la sensualité de la matière : une peinture voluptueuse, réjouissante, jubilatoire avec sa part de mystère dans quelques recoins plus inquiétants (3)…
À côté de Ludwig van Beethoven, il aurait fallu évoquer aussi Claude Debussy, Maurice Ravel ou Igor Stravinsky, mais tournons-nous maintenant, sans abandonner les liens entre la peinture et la musique, du côté de Jean Giono, ce grand écrivain amoureux de la terre et de la nature tout entière, comme l’est aussi Jean-Paul Laixhay.

Jean Giono publie en 1935 un roman intitulé : Que ma joie demeure. Il y parle de la joie que lui inspire la beauté de la nature et qu’il associe aux joies du corps et à ses désirs, une « joie totale », dit-il, dans et avec la nature, corps et âme. Le titre, emprunté à celui d’un choral de Jean-Sébastien Bach, est volontairement amputé du premier mot : « Jésus ».
Jean Giono refuse d’invoquer la Divinité à la rescousse. L’homme doit trouver son bonheur, sa joie dans le monde d’ici-bas, en osmose avec la nature. Pour lui c’est la nature, et non l’âme, qui est immortelle. Jean Giono croit au Grand Tout unique, à la nature qui englobe le corps et l’âme, indissociables, la chair et la matière, avec la mort qui en fait partie, en une « chaîne de transformations » toujours recommencée et donc, « immortelle ». La peinture de Jean-Paul Laixhay n’exprime-t-elle pas aussi cette même forme de spiritualisme païen, tellurique, sensuel, dionysiaque ? Jean Giono et Jean-Paul Laixhay nous disent encore que la nature permet de jouir des choses sans les posséder, on peut donc s’y livrer sans réserve, mordre la vie à pleines dents et, nous aussi, avec Pierre Ronsard cette fois, « cueillir dès aujourd’hui les roses de la vie ».

Les grands chemins

À son tour, pour sa série Les Grands Chemins, le peintre emprunte à Jean Giono le titre d’un de ses romans publiés chez Gallimard en 1951. Les Grands Chemins de Jean Giono, semblables aux chemins tracés dans la nature, droits, sinueux, tortueux, montants, descendants, bifurquant … sont les chemins de la vie sur lesquels l’homme est en errance. Ils ne sont grands que dans leur dimension symbolique lorsqu’ils deviennent le champ d’une recherche, d’une curiosité, d’une réflexion sur le sens de l’existence, sur la possibilité – ou non – du bonheur… Et le peintre de nous le dire encore avec fougue et passion : exubérance des couleurs, fourmillement de touches multicolores entremêlées (version 1) ou, contraste entre un côté sombre ombragé, terrestre, et l’autre, céleste, bouillonnant, rutilant de lumière dorée (version 2). Pour Jean-Paul Laixhay, les grands chemins sont aussi ceux de Saint-Jacques-de-Compostelle.
Depuis quelques années, l’été venu, il parcourt une étape sur ce grand chemin initiatique. Pas à pas, il avance et mesure le temps et l’espace, s’enivrant du spectacle de la nature et de la beauté des lieux sacrés où tant d’hommes depuis plus de mille ans, sont passés, se sont arrêtés et sont repartis humblement à la recherche du divin ou tout simplement, d’un dépassement de soi. Sur ces grands chemins, Jean-Paul Laixhay se nourrit des richesses de la terre et du ciel et y récolte les fruits
et les couleurs de son art.

Le soleil n’est jamais si beau qu’un jour
où l’on se met en route.
Jean Giono

L’équinoxe d’automne

L’inauguration de l’exposition des œuvres de Jean-Paul Laixhay tombe « miraculeusement » un merveilleux jour, le 21 septembre, jour où le jour et la nuit sont en égal partage, l’équinoxe, un moment magique, un instant qui retient son souffle, avant de basculer dans le temps suivant, une nouvelle saison, aujourd’hui l’automne. Heure propice pour ralentir la cadence, observer les lentes métamorphoses de la nature et s’apaiser avec elle.
Professeur à l’institut des Beaux-Arts Saint-Luc depuis de nombreuses années, Jean-Paul Laixhay a définitivement refermé la porte de sa classe le 30 juin dernier. Un adieu, la retraite, une fête aussi… Cette exposition qui commence ici participe à cette fête, à cet instant, à ce passage, où le professeur, l’artiste, entre dans l’automne de sa vie. Une page se tourne, une autre s’ouvre.

Laissons Georges Brassens chanter l’épilogue :
C’est pas vilain les fleurs d’automne
Et tous les poètes l’ont dit […]
Il faudra que Saturne en fasse
Des tours d’horloge, de sablier […]
Viens encore, viens ma favorite
Viens effeuiller la marguerite
Descendons ensemble au jardin.

Anne Gersten

(1). Paroles tirées de la chanson-poème Saturne de Georges Brassens.
(2). Allusion à la phrase de Pablo Picasso : « Certains peintres transforment le soleil en une tache jaune ; d’autres transforment une tache jaune en soleil. ».
(3). Plus rarement, outre ses fleurs et jardins en liesse, Jean-Paul Laixhay a aussi peint, dans des tonalités presque exclusives de bleus, de noirs bleutés et de blancs froids, la nature en hiver, sous la neige, où tout n’est plus que silence.


Les manifestations sont organisées par l’asbl Wégimont Culture,
avec le soutien du Service culture de la Province de Liège
et en collaboration avec la Fédération Wallonie-Bruxelles.

La Galerie de Wégimont est située sur le parking bas du Domaine provincial
Chaussée de Wégimont, 76 -4630 – Soumagne
Gsm : 0477 38 98 35
 e-mail : info@wegimontculture.be
Visites les samedis et dimanches de 14 à 18 heures et sur rendez-vous
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Photos Comptoir d’estampes : wegimont.zonerama.com
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