Bern Wery
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Les nuits étoilées
La tentation est grande, dans une rassurante facilité de classement, de qualifier l’œuvre de Bern Wery de post-impressioniste voire de symboliste. On n’entre pas aisément dans cette symphonie où tous les instruments jouent, semble-t-il, une partition différente unis dans une énigmatique cohésion. Qu’évoquent ces personnages en chemin, ces foules rassemblées, ces transhumances ? Une voix s’élève quelquefois, émerge de la mêlée, « sortant du lot », comme l’acteur qui monte sur la scène ou le modèle qui se dénude !
Une histoire, un récit permettrait de décoder une œuvre en mouvement perpétuel. Nous serions rassurés de mettre des mots sur cette logorrhée. Le paysage se marie aux cieux ténébreux, les végétaux, troncs d’arbres et acteurs ne font qu’un. Laissons-nous emporter par la construction nerveuse et cent fois remise sur le métier d’une œuvre qui se définit essentiellement par la couleur et son foisonnement. Bern s’attaque à la toile comme un joueur de ping-pong, saisissant la balle au bond de ce que lui transmet son cerveau droit, celui de l’instinct et de l’émotion.
Observateur avisé de l’âme et du monde dans lequel elle se ébat, le peintre pose sur l’humanité un regard qui jamais ne s’érige en jugement mais fait part de la ques- tion de l’être, du « qui suis-je ? ». Les narratifs qu’il nous propose, entre figuration et abstraction, sont dès lors perçus comme le paysage intérieur de l’artiste. Il observe l’être humain se questionnant dans un environne- ment qui tantôt s’apparente à un éden luxuriant, tantôt se révèle hostile au travers des dérives environnementales et des drames de la migration.
Tu veux apprendre à dessiner, rétorqua-t-il un jour à un élève qui le sollicitait, très bien mais que vas-tu en faire ? Car la peinture et le dessin, selon lui, constituent un langage qui entend, dans son vocabulaire de forme et de tonalités, dire l’indicible, comme la poésie l’est à la littérature.
Cette quête et ce questionnement sur le monde sont pres sentis dès l’âge de 15 ans. Dyspraxique et fugueur, le monde des oiseaux le passionne. La rencontre avec un ami cher le pousse à s’inscrire dans un groupe de recherche ornithologique. Sans doute ressent-il, par l’écoute des oiseaux et l’observation des migrations, cette manière toute personnelle de mesurer le cours des choses et du temps ! Olivier Messiaen n’est pas loin !!
Il s’exprime d’abord par la photographie avec son oncle, exerce le métier d’électricien et décide de passer l’exa- men d’entrée à l’école sociale. Il réussira brillamment sa licence en sociologie et communication et travaillera dans la coopération au développement.
À 21 ans la peinture s’ouvre à lui. Il en fera désormais son lan- gage. L’école fondamentale en néerlandais lui a donné la chance d’être parfaitement bilingue. Il se découvre un intérêt prononcé pour les arts plastiques en Belgique. Il étudie la peinture aux Académies d’Ixelles, de Watermael-Boitsfort ainsi qu’à la Rijks Hoger Onderwijs voor Kunst à Etterbeek et encore à la Kunstskolen de Holbaek Danemark, où le mouvement Cobra le questionne. Il fréquente les musées, copie les œuvres anciennes et se constitue une solide connaissance de la peinture et de l’art belge du XXe siècle.
Enseignant passionné et apprécié à l’École des Arts de Braine-l’Alleud et à l’Académie d’été de Libramont, le voici en pleine possession de son art. L’exposition qu’il nous offre aujourd’hui nous dévoile avec force son uni- vers empreint de générosité et de sincérité, convaincu en cela du célèbre propos de Pierre Bonnard “Il ne s’agit pas de peindre la vie, mais de rendre vivante la peinture.”
Février 2024
L’œil et l’esprit
L’œil et l’esprit
« Toute cette dialectique de l’accommodement de l’œil et de l’esprit qui s’acharnent à saisir pour aboutir, avancent et reculent, est évidemment métaphorique de l’acte pictural. On a aussi le sentiment, avec cette nouvelle couvée, d’une forme d’apaisement, dans l’iconographie comme dans l’écriture. D’une sorte de temps de pause dans ces pèlerinages du fond des âges, ces émigrations, ces transhumances.
L’intensité de la matière picturale contraste avec l’évanescence des figures, l’impromptu de l’écriture. Flou et véhémence d’une image toujours à construire et pourtant bien présente, elles suscitent une persistante impression de déjà-vu, qui joue dans le charme des œuvres. Leur contemporanéité est réelle, tout entière dans cette façon de surfer sur les grands sujets, de les réécrire dans un double mouvement de désir et d’éloignement ».
Le Soir, 29/09/2010
Peinture et dessin
Pour Bern Wery, dessin rime avec prolifération. Ce que la peinture révèle progressivement dans la construction des lumières, le dessin le donne de manière plus vive. Parfois violente. Déduit de l’écriture automatique, le trait gravite sur le papier, le griffe, l’excite. Il ne cherche pas à se former en récit ni même à composer un langage. Il tient du surgissement et de l’instinct. Si son devenir traduit l’instant, sa présence trahit une nervosité qui appelle un perpétuel recommencement. Le crayon trace. Il opère comme un révélateur photographique : instantané de la réalité qui se fane aussitôt qu’il s’inscrit à fleur de papier. Son mouvement relève de la fulgurance sans pour autant investir l’étendue. Le papier lui semble interdit. Par un travail de cloisonnement qui en comprime l’expansion, Bern Wery maintient chaque geste à l’intérieur d’un périmètre qui l’isole en tableau. Ainsi le papier se fait cimaise : il accueille autant de tableaux fermés sur eux-mêmes. Juxtaposées, rapportées les unes aux autres dans l’équilibre de leurs lumières et de leurs couleurs, ces vignettes racontent l’instant. Elles témoignent de l’intérêt du peintre pour les peintures des maîtres anciens qu’il a longtemps copiées. Sans céder au jeu de la citation, Bern Wery a conservé la mémoire de ce passé stratifié en musée, de cette tradition déclinée en sections, périodes, écoles, artistes…
Rendu à l’automatisme de l’esprit, le passé s’est mué en impulsion. Il déclenche un travail de mémoire auquel se mêle le rêve. Celui-ci démultiplie le sens, joue d’analogies, s’égare en dérive. Sur le mode de l’image atomisée en pixels, l’artiste compose sa propre vision de l’histoire de l’art : une immense casse d’imprimerie où chaque case abrite une émotion, où chaque image se fait instantané, où chaque sensation aspire à renaître dans une nouvelle image, où rien n’est oubli. Où reste perpétuel recommencement.
Chemin de Lecture,
Quartiers latins, 2004
Parcours
Né en 1956, Bern Wery expose régulièrement depuis 1980.
Son œuvre est représentée dans de nombreux musées et a été primée à de multiples reprises.
- 2023 Lauréat du Prix Gaston Bertrand
- 2017 Prix Jules Raemaekers pour l’ensemble de l’œuvre décerné par l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique
- 2006 Fondation Bolly-Charlier, Lauréat du Prix Spécial du Jury, Huy
- 2001 Prix de peinture Gustave Camus décerné par l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique
- 1995 Prix de peinture Constant Montald décerné par l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique
- 1993 Lauréat du Prix triennal de gravure Marie-Louise Rousseau - Ixelles
- 1991 Prix de peinture Jos Albert décerné par l’Académie Royale des Sciences, des Lettres et des Beaux-Arts de Belgique
- 1990 Prix C.G.E.R. (Médiatine, Communauté Française), Bruxelles
- 1990 Lauréat de la Biennale des Arts plastiques de la Louvière